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Chroniques
Satyricon, précédé de Journal vénitien
opéras de Bruno Maderna
Grâce à une programmation décidément novatrice qui sait prendre des risques, l’on peut redécouvrir cette semaine deux ouvrages du trop rare Bruno Maderna sur la scène nancéienne. Le truculent Satyricon de 1971, qui fera l’objet de plusieurs révisions jusqu’à la mort du compositeur en 1973, transporte le public dans une Rome pas si antique que cela, bien qu’elle nous vienne de Pétrone, car c’est bien la société de l’aujourd’hui d’alors que Maderna y a voulu moquer. En guise d’ouverture au spectacle, le Journal vénitien, monologue d’un jeune poète britannique contant sa découverte du libertinage de la Sérénissime avant de rejoindre Rome l’éternelle. De fait, le personnage, dans la production, ouvre le rideau sur le fameux banquet de Trimalchio.
Nigel Robson incarne James Boswell sans grande efficacité. Si l’auditeur goûte des ornements joliment réalisés, la voix reste peu projetée, semblant rester en bouche, avec des vocalises d’une désarmante platitude. Côté jeu, c’est plutôt surfait, truffé d’effets qui ne fonctionnent pas, très gauche dans l’ensemble. Cela pourrait être cent fois plus spirituel avec une présence apte à envahir la scène, cet artiste manquant du charisme nécessaire pour servir la pièce. Puis le rideau se lève...
L’on aborde alors le dispositif choisi par Georges Lavaudant et réalisé par Nicky Rieti : une sorte de mur de ronde sur une pièce carrée, prolongé par une bordure basse sur toute la largeur du cadre, formant banquette, devant une cour dînatoire. Seuls éléments rapportés : trois fauteuils d’un autre âge, luxueux. Sur la terrasse du carré, un écran gigantesque où sont projetées des images préparées, mais aussi celles qu’un figurant prend directement sur le plateau au fur et à mesure du spectacle. A part ce décor peu évocateur, un gadget vidéastique qui ne sert à rien, la mise en scène n’entre pas dans le propos même de l’œuvre, sa teneur critique et politique, et n’accorde guère plus d’importance à une véritable construction des personnages. Étrangement, ce sont les figurants qui satisfont le mieux sur ce point, comme David Tridant proposant un Philargyrus inquiétant.
Les autres utilisent leur métier, avec tous les tics attendus. Sally Burgess donne une Fortunata capiteuse au timbre généreux, très glamour, jazzy à souhait, tout à fait à la hauteur du rôle. Nigel Robson finit par se réveiller, proposant une voix nettement sonore, et déploie un chant plus ample ; il semble que la langue anglaise lui facilite les choses. On se souvient de l’avoir entendu dans Tamerlano de Händel en août 2003 au Théâtre du Château de Drottningholm (Suède) : il y proposait un Bajazet souffrant de nombreuses disgrâces durant le premier acte, avant de pouvoir offrir un art mieux maîtrisé sur la fin, ce qui nous invite à conclure que l’artiste a tout simplement besoin d’un temps de chauffe. Wolfgang Ablinger-Sperrhacke assume un Trimalchio extrêmement sonore, toujours avantageusement timbré, brillant, dans une sonorité claire, accusant toutefois une légère nasalisation. On regrette de n’avoir pu apprécier plus copieusement la voix du baryton Frans Fiselier qui campe une Eumolpus d’une grande noblesse, avec des graves magnifiques.
En fosse, si les cuivres sont toujours peu exacts, il faut signaler la belle performance des bois et un splendide solo de violoncelle. Précise et soignée, la direction de Luca Pfaff ne se contente pas de pasticher certaines phrases du répertoire (Weill, Puccini, Bizet, Wagner, Gluck, etc.), mais les sert toujours dans le style correspondant, avec une souplesse fascinante.
BB